Interview avec Alexandre Michelin : directeur des programmes de Canal +

 Aujourd’hui, Kévin L’héritier (encore lui!) a eu le privilège et la chance d’interviewer M. Alexendre Michelin, directeur des programmes chez Canal +, oui monsieur, et ça juste pour la communauté ICB ! Entretien avec une personne intéressante et intéressée par son métier, qui donnera sans doute des idées à plus d’un d’entre vous…

La télévision

 

En 1992, vous devenez directeur des programmes de Paris Première. En 1997, de Canal +, en 2004 de France 5. En quoi consiste ce métier ?


Un directeur des programmes choisit les programmations et le contenu de la chaine pour laquelle il travaille. Il a donc une prise de décision sur la grille des grands programmes et avec les grands rendez-vous. C’est un métier fabuleux.

Et tout cela dépend évidemment de la cible de la chaîne. Les prises de décision sont donc différentes sur Canal + et sur France 5.

Quelles sont les contraintes d’un tel métier ?


La ligne éditoriale du média. Parfois, de bons programmes nous parviennent mais ils ne vont pas avec notre ligne éditoriale. Par conséquent, on se voit dans l’obligation de refuser. Evidemment, la contrainte économique est aussi présente. Pour Canal +, le nombre d’abonnement est plus important que l’audience.

De plus, on ne parle pas des programmes de la même manière. Par exemple Télé 7 jours va donner des avis et Télérama va donner une vraie critique. Parfois, les programmes télés peuvent faire varier l’audience car ils dictent d’une certaine façon quoi regarder.

L’audience est-elle importante ?


Evidemment que oui, et en même temps ce n’est pas une science exacte. Les audiences sont faites avec un panel de personnes. Et les audiences n’apportent pas grand-chose pour les chaines payantes comme Canal +, encore une fois on prend en compte l’abonné et pas l’audience. Pour certaines chaînes de France télévision, l’audience n’est pas une contrainte au sens où ses chaînes répondent à un service de service public où on répond à une communauté et une demande. Dans cette situation, on ne recherche pas la meilleure audience.

Peut-on dire que le sort d’un directeur des programmes dépend de l’audience ?


Je ne pense pas qu’on puisse y voir un lien de causalité. Tout dépend du président de la chaîne et des actionnaires. Ils font ce qu’ils veulent, et ce au moment où ils le décident. Et l’audience ne régit pas tout. Avec l’arrivée du numérique, il est évident que les audiences télé sont en baisse. Mais ce qui est remarquable, c’est que les recettes télés n’ont pas chuté. La télé reste encore le média de masse, malgré un changement d’attitude de la part des consommateurs.

Mais le numérique progresse. En effet, même les médias informatifs se mettent aux vidéos, aux directs et toutes ses techniques du numérique.

 Vous étiez candidat à France télévision, pour quels objectifs ?


Avant cette candidature je travaillais pour Microsoft. Quand j’ai quitté cet organisme, j’ai acquis énormément de connaissance numérique. J’ai vu l’arrivée du numérique et le besoin de suivre cette tendance. Mon programme parlait essentiellement de comment entrer France Télévision dans le numérique. J’ai envoyé beaucoup de rapport au CSA pour justifier ce choix. Netflix a saisi cette tendance. Le CSA ne m’a pas choisi, pour eux cette question n’était pas si importante. Aujourd’hui, France télévision va moins vite que la BBC. Mais je ne peux pas trop juger, France Télévision n’a pas encore lancé de projet. Il y a eu la création de France Info tout de même. Il faut leurs laisser le temps de travailler. Je ne peux pas juger, le CSA le fera prochainement.

France Télévision appartient-il à l’Etat ?


En France, le CSA est un organisme indépendant mais le budget vient du gouvernement. Donc non je ne pense qu’on puisse dire que France Télévision est à la solde du gouvernement. Contrairement au Royaume Unie où la BBC est contrôlée par l’Etat. L’indépendance des médias est au cœur de la démocratie.

Pour vous, les débats télé, ce sont de l’information ou de l’infotainment (info divertissement ?)


Il y a eu de tout, que ce soit de la part de TF1 ou de BFM/C-news. Il y a des règles qui obligent à l’équité. J’ai été assez surpris du débat de BFM, c’était très intéressant de confronter les 11 candidats.

Dans un cadre général, la télévision est bien entendu devenue de l’infotainment. De plus en plus d’humoristes sont présents lors d’émission d’actualité ou de politique. On compte l’émission de Nicolas Canteloup, les émissions avec Laurent Gerra, l’intervention de Charline Vanhoenacker dans l’émission politique sur France 2 par exemple.

 

Le numérique

Vous êtes DG ? d’une nouvelle plateforme, Spicee, vous pouvez nous en dire un peu plus ?


Oui, cette plateforme a été créée en 2015. Nous avons pour objectif de diffuser du contenu intelligent comme des reportages, des investigations sur tout ce qui se passe dans le monde. Nous proposons alors 170 formats et sommes présents partout. Cette plateforme est payante et on peut regarder à n’importe quel moment et à n’importe quel lieu ce qu’on veut, à l’instar de Netflix.

C’est ça la grande révolution aujourd’hui, pouvoir regarder ce qu’on veut, où on veut et quand on veut ?


Ce n’est pas le seul angle mais oui, c’est une partie de cette grande révolution numérique. Peu de gens suivent un programmes télés, il ne croit plus au directeur des programmes finalement. Les consommateurs veulent aujourd’hui être leur propre directeur des programmes.

L’arrivée  des réseaux sociaux participent à cette révolution. Les consommateurs ne font plus que regarder un programme, ils le commentent  sur les réseaux.

Le digital a permis de créer des vraies communautés sociales ! Netflix compte ainsi 95 millions d’abonnés et près de 900 000 en France !

Y-a-t-il des limites au digital ?


Bien évidemment ! Le risque est de s’enfermer dans une bulle en fonction de ses convictions et de ses envies. On rate des informations. Et en période électorale, c’est assez problématique.

 

La politique et le digital

L’avantage des réseaux sociaux et de pouvoir interpeler n’importe quel politique. Selon vous, les politiques doivent-ils forcément répondre à tous les tweets ?


Non je ne pense pas, il faut savoir garder une bonne distance. Mais le Twitter de certains politiques est très intéressant ! Le roi à ce jeu-là est Trump. Mais le président a rencontré un problème : le twitter du candidat Donald Trump n’est pas le même que le twitter du président Donald Trump. Aujourd’hui, il ne peut pas s’exprimer comme il le faisait avant. De plus, on peut dire que Twitter est une mode. En travaillant pour Microsoft je me suis rendu compte que les consommateurs utilisent différentes plateformes pour suivre des modes. Netflix a pris de l’ampleur mais pendant quelques temps, il y avait très peu d’abonnés. Donc aujourd’hui, la mode est à Twitter, on verra bien demain.

 

Autres

Une anecdote, un souvenir à partager ?


Oui, j’ai un petit souvenir assez marrant si vous voulez. En 2004, alors que je suis directeur des programmes pour France 5, je crée un nouveau programme : CULT. Cet émission en direct faisait réagir les internautes équipés de webcams. Cet émission reçu un Emmy Award (récompense télévisée) du meilleur programme interactif en 2006. Cette même année, les audiences de France 5 étaient à leurs maximums. Bref, une bonne année pour France 5. J’ai donc été viré à la fin de l’année. On revient à ce que je vous disais tout à l’heure, les directeurs et les actionnaires de la chaîne ont tous les droits et n’ont  pas à donner de raisons ou de justificatif.

 Un conseil aux étudiants d’information et communication, ou aux jeunes en général qui se destinent à travailler en télé ?


Je pense qu’on peut élargir la question aux médias en général et pas que la télé. Il faut être ouvert mais surtout curieux et savoir se battre. Dans ma carrière j’ai pris pas mal de coups. Il faut alors savoir se relever et apprendre de toutes ses erreurs.